Risque De Transition Et Assurance - Nexialog Consulting

RISQUE DE TRANSITION ET ASSURANCE

Introduction

Le risque de transition, dans le contexte des changements climatiques et de la transition énergétique, désigne l’ensemble des risques financiers et économiques associés au passage vers une économie bas-carbone. Il englobe non seulement les effets directs des politiques climatiques, mais aussi ceux liés aux innovations technologiques et aux évolutions du marché, telles que l’augmentation des prix de l’énergie, les pertes d’emplois, les tensions sociales ou encore les modifications réglementaires.

Face à ces enjeux, une mobilisation croissante se fait jour parmi l’ensemble des acteurs – des régulateurs, aux institutions financières – qui s’efforcent de préserver la stabilité du système économique tout en assurant un développement durable. Dans ce cadre, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), introduite par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), définit des objectifs ambitieux jusqu’en 2050 visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, l’adoption de politiques en accord avec ces objectifs pourrait entraîner des pertes importantes pour les acteurs financiers français.

Afin de mieux comprendre et anticiper ces impacts, plusieurs études se sont appuyées sur des modèles économiques simulant différentes trajectoires de transition basées sur les répercussions des efforts d'engagement et des politiques climatiques sur l'économie et les marchés financiers, tels que les scénarios climatiques élaborés par le Network for Greening the Financial System (NGFS). Ces scénarios ont servi de socle à des études de stress tests de transition climatique, dont la méthodologie analytique développée par Allen et al. (2020) [1] pour l'analyse des risques financiers. Par ailleurs, en s'appuyant sur la méthode proposée par ces derniers, l’ACPR, en collaboration avec la Banque de France, a réalisé deux exercices pilotes de stress tests climatiques (ACPR, 2020 et ACPR, 2023) pour le secteur financier et les assureurs. Ces travaux démontrent que, pour appréhender la complexité de la transition énergétique et financière, il est indispensable d’adopter une approche rigoureuse et bien coordonnée.

Long Term Interest Rate France - Scenarios Adjusted With Baseline - Nexialog Consulting
Emission GES (CO2, CH4, N20) Dans Le Monde - Nexialog Consulting

Trajectoires de variation du PIB selon les deux scénarios retenus par l’ACPR 

Dans ce contexte, la stratégie des assureurs apparaît encore en cours d’élaboration. D’après les résultats de l’exercice pilote climatique 2020 mené par l’ACPR, l’exposition actuelle des assureurs français aux secteurs potentiellement sensibles aux risques de transition est d’environ 17 % du total de leur actif, ce qui traduit une vulnérabilité significative face aux chocs liés à la transition.

Par ailleurs, en 2023, seulement 3 à 6 % des portefeuilles de titres des institutions financières françaises étaient alignés sur la Taxonomie européenne.

Ces constats incitent à renforcer les politiques de pilotage des risques, en tenant compte de l’impact potentiel du risque de transition, et également à consolider les stratégies d’engagement afin d’harmoniser progressivement les activités des entreprises avec les objectifs de transition et d’assurer une adaptation efficace aux défis futurs.

Réglementation

Les régulateurs jouent un rôle crucial dans la gestion des enjeux liés au changement climatique, en particulier dans le secteur financier et l’assurance.

Leur mission est double :

1

Ils doivent sensibiliser les institutions financières aux risques climatiques et aux enjeux de la transition énergétique et écologique (TEE)

 

2

Ils doivent renforcer les capacités d’analyse et de gestion de ces risques afin de garantir la stabilité financière, protéger les consommateurs et promouvoir des pratiques d’investissement durables.

 

Dans cette perspective, le législateur a identifié l’assurance-vie comme un levier stratégique pour financer la TEE. En vertu de son article 173, la Loi relative à la Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015 impose la publication annuelle d’un rapport, obligeant ainsi les compagnies d’assurance-vie à détailler comment elles intègrent le risque climatique dans leur stratégie à travers diverses initiatives, indicateurs et mécanismes de suivi. Cette obligation de transparence vise non seulement à informer les parties prenantes, mais aussi à inciter les acteurs à adopter des pratiques plus résilientes face aux mutations économiques induites par la transition.

Parallèlement, le cadre européen renforce ces exigences nationales. Depuis 2017, la directive Solvabilité II impose aux assureurs de publier un rapport de solvabilité qui inclut une analyse détaillée des risques liés à la transition énergétique. Dans ce contexte, l’EIOPA a proposé des réformes du cadre prudentiel pour améliorer la qualité et la disponibilité des informations sur l’intégration des critères ESG dans la valorisation des actifs et les pratiques d’investissement [2]. Ces mesures incitent le secteur à adapter ses modèles de gestion des risques afin d’anticiper les impacts potentiels d’un virage écologique et de préserver sa solvabilité en cas de perturbations économiques. De plus, le règlement SFDR (UE 2019/2088) [3], notamment via ses articles 8 et 9 entrés en vigueur en mars 2021, impose des obligations strictes de transparence quant à l’intégration des critères ESG dans les produits d’investissement.

Ce cadre réglementaire constitue un pilier du plan d’action européen pour la finance durable en forçant les acteurs à classer leurs fonds selon leur niveau d’engagement en matière de durabilité. En France, l’AMF a intégré ces principes au cœur de son plan stratégique 2018–2022 afin de favoriser une transition responsable du système financier [4].

Les autorités françaises ont également pris des initiatives spécifiques. En 2019, l’ACPR a créé la Commission Consultative Climat et Finance Durable (CCFD). Cette commission est chargée d’évaluer et de rendre plus transparentes les actions des institutions financières concernant la gestion du risque climatique. Elle joue ainsi un rôle d’intermédiaire entre les acteurs du marché et les autorités de contrôle, renforçant la résilience du secteur face aux mutations induites par la transition énergétique.

Enfin, pour orienter concrètement l’épargne vers des investissements moins exposés aux risques de transition, la loi Pacte adoptée en 2019 et appliquée dès 2020 a renforcé l’obligation d’intégrer des unités de compte durables dans les contrats d’assurance-vie. Dès le 1ᵉʳ janvier 2020, chaque contrat doit comporter au moins une unité de compte associée à un fonds socialement responsable, qu’il s’agisse d’un fonds labellisé ISR, Finansol ou destiné à financer la transition énergétique. En 2022, cette obligation s’est intensifiée en exigeant une répartition minimale sur trois catégories d’investissements – une mesure qui vise à diversifier l’offre et à sécuriser l’épargne en la dirigeant vers des actifs résilients face aux défis climatiques [5, 6].

Le label Greenfin, lancé par le ministère de la Transition écologique, vise à certifier la qualité écologique des fonds d’investissement, en s’assurant qu’ils investissent majoritairement dans des actifs verts et en excluant notamment les secteurs liés aux énergies fossiles. Cette initiative contribue à réduire l’exposition aux risques de transition tout en encourageant la réduction des émissions de carbone.

Les impacts directs sur les assureurs vie

RISQUE DE TRANSITION ET ASSURANCE

Les impacts directs sur les assureurs-vie sont multiples et se manifestent à la fois sur le plan financier et sur celui de la réputation. En effet, les assureurs détiennent souvent d’importants portefeuilles d’investissements comprenant des actifs liés à des secteurs fortement émetteurs de CO₂ (énergies fossiles, industries polluantes). La transition vers une économie bas-carbone risque alors de rendre ces actifs des « stranded assets », c’est-à-dire de faire chuter leur valeur de manière brutale, impactant ainsi la rentabilité et la solvabilité des assureurs.

Par ailleurs, des tests de stress climatique réalisés par l’ACPR en France ont montré que, dans un scénario combinant chocs physiques et de transition, le ratio de solvabilité des assureurs pouvait chuter significativement, attestant des conséquences financières d’un virage écologique accéléré.

Pour limiter cet impact et aligner désormais leurs investissements sur la loi Pacte, des acteurs comme le groupe AXA ont cessé d’investir dans les entreprises les plus exposées au charbon, entraînant la vente massive d’actifs carbonés, parfois à perte.

D’autre part, les assureurs-vie font face à des risques réputationnels croissants. De grands assureurs-vie internationaux comme Prudential et MetLife ont été critiqués par des ONG et des investisseurs pour leurs investissements dans les combustibles fossiles. Sous la pression de ces critiques, MetLife a restreint ses placements dans le charbon et les sables bitumineux, tandis que Prudential Financial a annoncé un engagement de neutralité carbone d’ici 2050, incluant l’arrêt de nouveaux investissements directs dans le charbon. Ces démarches ont conduit, pour certains, à des désinvestissements partiels et à la perte de clientèle, les assurés cherchant à se tourner vers des compagnies affichant un engagement plus fort en faveur de la durabilité.

Quels leviers pour les assureurs ?

Les assureurs disposent de plusieurs leviers pour sécuriser leur bilan et soutenir la transition vers une économie bas-carbone. Le principal consiste à intégrer les Principles for Sustainable Insurance (PSI) dans leurs décisions stratégiques et leurs relations avec les parties prenantes. Ces principes, établis par l’Initiative Financière du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP FI), reposent sur quatre axes fondamentaux et sont adoptés par 129 (ré)assureurs à l’échelle mondiale.

Le premier principe encourage la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les politiques de souscription et d’investissement, notamment en intégrant la décarbonation comme priorité stratégique. Afin de gérer efficacement leurs portefeuilles selon une approche bas-carbone, les assureurs évaluent leur exposition au risque de transition grâce à des indicateurs spécifiques, dont l’empreinte carbone. Celle-ci, exprimée en tonnes de CO₂ par million d’euros investi, prend en compte les émissions des scopes 1, 2, voire 3, et permet d’identifier clairement les actifs fortement émetteurs. Ce suivi rigoureux, réalisé avec transparence (principe 4) et en coopération avec les clients et partenaires (principe 2), facilite une meilleure orientation des investissements.

Certains acteurs évaluent également le « warming potential » ou trajectoire de réchauffement implicite de leurs investissements afin d’en vérifier la conformité avec les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris (1,5 °C ou 2 °C). Par ailleurs, une stratégie clé consiste à réduire progressivement l’exposition aux secteurs fortement émetteurs de carbone pour réorienter les capitaux vers des actifs durables, tels que les obligations vertes ou les fonds labellisés ISR, contribuant ainsi directement à la transition énergétique.

Le troisième principe met l’accent sur la collaboration active avec gouvernements, régulateurs et autres parties prenantes afin d’encourager une réponse collective aux défis ESG. Ce dialogue permet d’harmoniser les pratiques, d’établir des cadres communs et de développer des solutions innovantes pour mieux gérer les risques associés à la transition.

Enfin, les assureurs conduisent des stress-tests climatiques, encouragés par les régulateurs comme l’ACPR en France ou l’EIOPA au niveau européen, pour anticiper les conséquences financières potentielles des différents scénarios de transition, notamment la dévalorisation rapide d’actifs carbonés. Ces analyses renforcent leur capacité d’adaptation face aux évolutions des enjeux ESG.

Les enseignements de l’exercice de stress-test de l’ACPR

Afin de sensibiliser les assureurs aux conséquences financières du risque de transition climatique, l’ACPR a mené deux exercices pilotes permettant d’évaluer précisément l’impact financier des différents scénarios de transition sur le secteur assurantiel. Après un premier réalisé en 2020, l’ACPR a conduit une seconde version des stress-tests climatiques en 2023, cette fois exclusivement destinée au secteur de l’assurance. L’objectif est de renforcer la capacité des assureurs à intégrer le risque climatique dans leur dispositif ORSA (Own Risk and Solvency Assessment), et d’évaluer les impacts potentiels de la transition climatique sur la stabilité du système financier.

L’exercice de 2023 étudie conjointement les risques physiques et de transition à travers différents scénarios climatiques. En plus du scénario de référence (baseline) sans risque climatique, trois scénarios spécifiques ont été étudiés : un scénario à court terme, un scénario de long terme avec une transition ordonnée (Below 2°C), et un scénario de long terme avec une transition tardive (Delayed Transition). Ces scénarios s’appuient sur la dernière génération des scénarios NGFS publiée en septembre 2022, complétée par les projections macroéconomiques actualisées du NIESR, tenant compte notamment des conséquences économiques de la guerre en Ukraine et de la pression inflationniste.

Tous les scénarios indiquent des pertes significatives de valeur des actifs liés aux activités fossiles et à l’immobilier. Dans le scénario à court terme, si la sinistralité due aux risques physiques est non négligeable, le choc financier lié au risque de transition entre 2025 et 2027 est nettement plus sévère pour la solvabilité des assureurs. Ainsi, dès 2025, les actions et actifs immobiliers subissent respectivement une perte de valeur de 27 % et 32 % par rapport au scénario de référence, tandis que les obligations d’État et d’entreprises perdent en moyenne 8 %. Globalement, les placements enregistrent une perte de valeur de 13 % en 2025.

Au niveau du bilan, à partir de 2025, année du choc financier, celui-ci diminue de 10 % par rapport au scénario de référence, atteignant jusqu’à 12 % en 2026 et 2027. L'excédent d'actifs sur les passifs atteint son niveau le plus bas en 2025, avec une perte relative de 32 %. L’impact sur les fonds propres est significatif, avec une diminution de 28 %, soit une perte de 67 milliards d’euros, accompagnée d’une baisse moyenne de 48 points du taux de couverture du ratio de solvabilité.

Concernant les scénarios de long terme, le scénario Delayed Transition entraîne des risques de transition plus élevés que le scénario Below 2°C, où une transition progressive permet de mieux maîtriser ces risques jusqu’à 2100. La baisse de valeur des placements est respectivement de 3 % et 3,5 % pour les scénarios Below 2°C et Delayed Transition, par rapport au scénario de référence. Les actifs immobiliers sont particulièrement affectés, avec des pertes atteignant jusqu’à 7 % en 2035 et entre 9 % et 10 % en 2050. Les obligations connaissent quant à elles des pertes plus modérées, généralement inférieures à 3 %.

Dans ces scénarios à long terme, les baisses du bilan total et de l’excédent d’actifs restent modérées : 3,9 % au maximum dans le scénario Below 2°C à l’horizon 2050 et 3,3 % dans le scénario Delayed Transition à l’horizon 2040, par rapport au scénario de référence.

Cet exercice permet aux assureurs de mieux appréhender l’importance d’intégrer plus profondément le risque climatique, notamment en anticipant les chocs brutaux liés aux actifs carbonés et immobiliers ou en tenant compte d’une hausse graduelle des sinistres dommages. L’ACPR recommande ainsi de renforcer l’intégration du climat dans les analyses de sensibilité et l’ORSA afin que chaque assureur identifie ses vulnérabilités spécifiques et adapte ses politiques de souscription, de tarification et d’allocation d’actifs pour limiter l’exposition aux risques climatiques.

Cependant, l’exercice présente certaines limites méthodologiques. Il dépend fortement des scénarios retenus, marqués par une incertitude élevée à long terme (horizon 2050). De plus, les modèles utilisés n’intègrent pas pleinement toutes les rétroactions économiques possibles en cas de crise climatique majeure, et les hypothèses concernant la gestion des actifs peuvent également biaiser les résultats. En réalité, les assureurs pourraient réagir plus activement aux chocs, amplifiant ou atténuant leurs effets, un aspect que les modèles actuels n’intègrent pas entièrement.

Les difficultés dans la transition

La transition vers une économie durable et bas-carbone représente un défi majeur, impliquant de nombreuses difficultés telles que l’équilibre délicat entre priorités environnementales, économiques et sociales, ainsi que les contraintes géopolitiques associées. Aujourd'hui, l’économie demeure fortement dépendante des activités à forte intensité carbone, ce qui affecte négativement l'attractivité des investissements verts, souvent caractérisés par une liquidité plus faible. Un développement accru de la finance climatique pourrait cependant rééquilibrer le coût du capital, en réduisant celui des actifs bas-carbone tout en augmentant celui des investissements à forte intensité carbone. Cette réorientation faciliterait la liquidité des actifs durables et influencerait positivement leurs prix et volumes.

Par ailleurs, l’absence d’une taxonomie internationale harmonisée définissant clairement les actifs verts et carbonés conduit à des asymétries d'information et expose le marché au risque de dumping environnemental. Les entreprises au sein et hors de l’Union européenne ne disposent pas de référentiels comparables, ce qui limite la clarté et la fiabilité des informations disponibles. De plus, faute d'une autorité financière mondiale chargée de vérifier la qualité et la conformité des données environnementales publiées, la comparabilité et la crédibilité des reportings demeurent insuffisantes. Enfin, le critère d’intensité carbone est parfois utilisé de manière trompeuse (greenwashing), donnant une image faussement vertueuse de certaines entreprises sans traduire une véritable amélioration de leur empreinte climatique.

RISQUE DE TRANSITION ET ASSURANCE

Conclusion

En conclusion, le risque de transition constitue un enjeu complexe mais incontournable pour les assureurs vie dans le contexte climatique actuel. Il est nécessaire que ces derniers intègrent pleinement ce risque dans leurs dispositifs de gestion, notamment à travers l’ORSA, pour anticiper efficacement les perturbations du marché.

Malgré les défis liés à la liquidité limitée des actifs verts ou aux résistances des secteurs fortement carbonés, une adaptation réussie renforcerait la résilience des assureurs face aux risques climatiques et favoriserait la création d’un marché financier durable, en accord avec les objectifs climatiques internationaux.

AUTEURS

Elvine BELLOW - Nexialog Consulting
Hong ZHANG - Nexialog Consulting
Kaye Matar KANDJI - Nexialog Consulting

Elvine BELLOW

Consultante Junior Actuarial Services

Hong ZHANG

Experte Actuarial Services

Baye Matar KANDJI

Responsable de programme R&D